Invité à bord du Normandie pour sa traversée inaugurale en mai 1935, le maître-verrier Auguste Labouret en saisit la vie et les lumières dans quatre carnets de voyage et 71 feuillets, aujourd’hui conservés par l’Écomusée de Saint-Nazaire. Une immersion graphique dans un moment clé de l’histoire du navire de légende.
Auguste Labouret à bord de Normandie : un artiste parmi les passagers
Le paquebot Normandie voit le jour aux Chantier et ateliers de Penhoët à Saint-Nazaire. Sa construction débute en 1931. En sa qualité de maître-verrier, Auguste Labouret est désigné par la Compagnie Générale Transatlantique pour concevoir les dalles de verre murales qui habillent l’espace central du navire. Lors de sa mise en service en 1935, Normandie est le plus grand et, assurément, le plus beau paquebot du monde. Le 29 mai, il entame sa traversée inaugurale de l’Atlantique depuis Le Havre, destination : New York !
Présent parmi les passagers, sur invitation de la compagnie, Labouret saisit sur le vif ambiance portuaire, emménagements intérieurs et scènes de vie à bord du géant des mers. Dans ses carnets de voyage, les croquis deviennent de véritables instantanés souvenirs : ils retracent le récit inédit et sensible d’une traversée exceptionnelle.
Dans l’œil de l’artiste, Normandie en clair-obscur
Un trait récurrent saute aux yeux dans les dessins acquis par l’Écomusée : le contraste saisissant entre clarté et obscurité.
Déformation professionnelle ?
Le maître-verrier, spécialiste du vitrail, excelle dans les jeux de lumière. Rien d’étonnant, donc, à retrouver ce sens du contraste dans ses croquis. Les aplats de pastel noir, rehaussés de touches de blanc, révèlent les volumes et subliment la silhouette du navire.
Le regard posé par l’artiste sur la chapelle du paquebot témoigne de l’attention portée par les architectes Pierre Patout et Henri Pacon pour l’éclairage de cet espace : il renforce l’intimité du lieu et tranche avec le marbre sombre. Dans un autre registre, la salle de spectacle offre une ambiance scénique et festive, soulignée par le même travail du clair-obscur.
Le trait d’Auguste Labouret est vif, épuré. Il suggère le mouvement, l’effervescence, presque le bourdonnement d’une ruche dans cette « ville flottante ».
Notre voyageur ne se limite pas aux intérieurs : à plusieurs reprises, il met en avant la ligne du paquebot, épousée par la lumière qu’il diffuse dans la nuit. Les rehauts de blanc font ressortir les hublots, les ponts, la passerelle d’embarquement, et magnifient le lettrage rétroéclairé formant le nom Normandie.
Labouret face à son œuvre
Au-delà du récit de la première traversée de Normandie, Auguste Labouret pose un regard sur ses propres créations en verre. Qu’il s’agisse du grand salon ou de la salle à manger de première classe, il immortalise son travail dans toute sa vivacité. Les rehauts de gouache blanche accentuent l’éclat des pièces soigneusement décorées, révélant l’atmosphère lumineuse qu’il avait imaginée.
Dans ces deux espaces, il cherche à recréer l’illusion d’une lumière naturelle. Les 6 000 dalles de verre moulé qui habillent les murs de la salle à manger diffusent une chaleur discrète : elles captent la lumière pour mieux la restituer dans un subtil effet de scintillement.
Tout comme Normandie, le maître-verrier fera lui aussi la traversée vers les États-Unis. Cinq ans après la mise en service du paquebot, en mai 1940, Auguste Labouret embarque sur le Champlain (1932). À bord se trouvent aussi femmes, hommes et enfants fuyant les régimes totalitaires européens. Durant le conflit, l’artiste s’installe au Canada et réalise des mosaïques et des vitraux pour des édifices religieux comme la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré ; son œuvre y demeure aujourd’hui mieux connue qu’en France.
Peu après la Libération, il regagne le territoire français et échappe au sort du Normandie, qui sombre en février 1942 dans le port de New York.